lunes, 31 de marzo de 2014








 Histoire de son nom


Jean-Baptiste Poquelin, malade imaginaire dit Molière

  
En 1644, Jean-Baptiste Poquelin, selon une habitude commune aux comédiens, se donne un nom de guerre.

Jamais il ne s'expliquera, ni ne justifiera ce choix, « même à ses meilleurs amis », constate son biographe Grimarest.

Molière a emporté son secret. Un de plus. Saura-t-on un jour pourquoi Poquelin se fit Molière, un des plus beaux noms de la langue française ?

Les hypothèses n'ont pas manqué : emprunt au nom du danseur Molier que Molière dut connaître dans sa jeunesse, nom d'un village que Molière aurait pu traverser : le toponyme est répandu mais plutôt dans le sud de la France où Molière se rendit surtout après avoir choisi son nom.

La question reste posée et pique régulièrement la curiosité du spectateur. Les comédiens aimaient au 17e siècle les références herbagères, florales ou géographiques qui entraient dans la composition des noms de guerre, Bellerose, Beauchêne, Montfleury, Floridor, Desrosiers, Des œillets, Des Roches. L'habitude s'en était peut-être prise aux armées pour faire oublier par un surnom inoffensif les dures réalités militaires.

L'histoire des pseudonymes et surnoms est révélatrice des comportements. Molière aurait-il pu s'intéresser à ce vocabulaire champêtre et l'adopter à son profit ? A-t-il un jour distingué une plante bien ordinaire pour l'associer à son histoire ? Du nom Molière on peut détacher la syllabe lière et la rapprocher du nom de la plante bien connue. Le lierre est fort répandu dans la nature, on en conviendra, en différentes variétés, lierre commun ou grimpant, qui tapisse les murs, forme des berceaux ou des bordures d'allées dans les jardins d'agrément. On peut tout de suite y voir une allusion au métier familial de Molière, c'est vite dit et un peu facile.

Il y a aussi un autre lierre, terrestre celui-là, que l'on trouve dans les haies, au bord des fossés, dans l'herbe des vergers. Les vertus médicinales de ses feuilles fraîches furent reconnues pendant des siècles. On les employait pour calmer la toux, l'asthme, les catarrhes pulmonaires. La Grande Encyclopédie détaille longuement ses propriétés. Le lierre terrestre était également appelé par les bonnes femmes herbe de la Saint-Jean. On sait que Jean est le prénom initial de Molière. Baptiste lui sera accolé après la naissance d'un frère, également prénommé Jean.

Ajoutons que le lierre est aussi la plante consacrée dans l'Antiquité à Dionysos et associée à la symbolique de la création poétique : la couronne de lierre était la récompense des poètes inspirés par les dieux.

C'est enfin la plante de la fidélité. « Je meurs où je m'attache. » Un joli programme que le comédien-poète aurait pu dédier au théâtre, représenté alors par la femme aimée, Madeleine Béjart. Molière est-il ou se sait-il atteint gravement dès 1644 pour se placer sous la protection de cette plante des chemins, si chargée de sens ? Sa vocation préjuge-t-elle déjà en lui de sa volonté créatrice pour solliciter la couronne de lierre ?

Si cette proposition était recevable, pourquoi en avoir volontairement enfoui la clef à jamais ?

II est difficile, à 22 ans, d'admettre et de divulguer une maladie grave que l'on peut pressentir avec la sensibilité visionnaire propre à ceux qui s'en savent atteints.

Dix ans environ avant sa mort, les contemporains de Molière paraissent bien au fait de sa maladie pulmonaire.

En 1663, Montfleury dénonce malignement «un hoquet éternel» dont sa voix est hachée dans L'Impromptu de l'Hôtel de Condé. 

La Grange fait part à deux reprises dans son Registre, de périodes où Molière doit s'arrêter de jouer, contraint par la maladie, mais aussi peut-être par les chagrins domestiques, les deuils, les lourdes responsabilités professionnelles : deux mois en 1665, quatre en 1666.

En 1670, Le Boulanger de Chalussay stigmatise sa « grosse toux avec mille tintoins » dans l'insidieux Élomire hypocondre ou Les Médecins vengés, qui nous renseigne beaucoup sur la maladie de Molière.

Nul doute que cet Élomire, anagramme du nom de Molière, un pamphlet infâme et laborieux, donna à l'intéressé quelques idées pour son Malade imaginaire:

On augmente son mal, faisant la comédie, 
Parce que les poumons trop souvent échauffés, 
Ainsi que je l'ai dit, s'en trouvent désséchés. 

Le diagnostic du médecin de la pièce, Episténès, tombe comme un couperet : le poumon.

Le poumon, repris et répété en écho par la Toinette-médecin du Malade imaginaire avec l'obstination rythmée des mots, par onze fois. Arrêt sans appel.

Sous le grime d'un imaginaire, se cache le Malade à toute extrémité. Molière ne le fait pas entièrement oublier dans la folie des divertissements, facéties et antiennes dont les médecins font les frais.

II s'en prend à eux depuis ses premières farces. Certes, il est allé à bonne école chez les Italiens où le Docteur est un caractère traditionnel.

Les docteurs... leur art fragile, qui n'est pas encore une science, affiche des prétentions qu'il est facile de brocarder. Plus facile que de s'en prendre aux dévots ou à la Compagnie du Saint-Sacrement. Molière sait ce qu'il en coûte.

Il a quelques comptes personnels à régler, mais n'est-ce pas plutôt avec la maladie qu'avec la médecine qui ne peut encore rien pour lui ?

Là où Elomire avouait :

Je n'entreprends de trop que les seuls médecins puisque pour s'en venger, il sont mes assassins Argan, qui n'a plus aucune illusion, fulmine « Grève, crève, cela t'apprendra une autrefois à te jouer de la faculté. » 

L'arrêt de Toinette est devenu un arrêt de mort dans la bouche d'Argan. Molière s'est donné le mot de la fin.
 

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